Barbara Hannigan par trois fois

Jeudi 7 mai 2020
Barbara Hannigan par trois fois | Maison de la Radio et de la Musique
En résidence à Radio France, Barbara Hannigan nous fixe plusieurs rendez-vous cette saison. Elle nous explique ici comment la chanteuse a souhaité un beau jour se saisir de la baguette du chef d’orchestre.

Barbara Hannigan, si je vous dis transmission, que répondez-vous ?
Pour moi, c’est quelque chose de très naturel parce que j’ai reçu l’aide de personnalités comme Simon Rattle et quelques autres. Souvent, une chose que l’on vous dit déclenche quelque chose dans votre esprit dix ou vingt ans plus tard. D’où l’importance de toujours envisager le long terme. C’est ainsi que j’ai lancé l’association Equilibrium, pour les jeunes artistes, qui reçoit notamment le soutien du Cent-quatre à Paris. Et c’est la raison pour laquelle je n’ai pas ajouté de masterclasses à la résidence qui m’est offerte par Radio France pour la seconde année consécutive.
 
Que signifie pour vous cette résidence ?
C’est la fortuna, la chance ! J’ai habité aux Pays-Bas pendant vingt ans, depuis quatre ans je vis à Paris et il s’agit là de ma première résidence en France. C’est aussi l’occasion de poursuivre une relation avec l’Orchestre Philharmonique. J’ai chanté plusieurs fois avec cette formation depuis 2011, et je l’ai retrouvée en tant que chef d’orchestre il y a trois ans, en septembre 2017.
 
Le 8 novembre, vous retrouverez huit musiciens du Philhar dans l’Hommage à T.S. Eliot de Sofia Goubaïdoulina…
C’est une œuvre très noire, que j’ai souvent chantée, qui est écrite pour les mêmes instruments que l’Octuor de Schubert, inscrit également au programme du concert. Il y est question du temps et de la permanence : est-ce qu’une nouvelle fleur va éclore ? est-ce qu’un nouvel oiseau va chanter ? est-ce que la vie va continuer ? L’ambiance générale de cet Hommage est plutôt romantique, et d’une certaine manière la musique est tonale, mais à la manière d’un paysage dissonant, avec ses pierres, ses bois, son air, son eau. Quand la soprano prend la parole, les instruments se taisent et la laissent chanter seule pendant trois ou quatre minutes, puis ils se remettent à jouer.
 
La compositrice est russe mais le texte est en anglais…
Il s’agit du texte original de T.S. Eliot. Je n’aime pas les traductions : imaginez-vous La Voix humaine ou Lulu dans une version traduite ?
 
N’est-ce pas René Bosc, autrefois responsable de la programmation du festival Présences, vous a encouragée à vous mettre à la direction ?
Si ! René m’avait entendu chanter dans Mysteries of the Macabre de Ligeti* et m’avait dit : « Tu devrais diriger car tu chantes comme un chef. » Dans son esprit, cette œuvre de Ligeti devait être chantée et dirigée par le même artiste, ce qui n’est pas faux car il s’agit d’une œuvre sur le contrôle : l’interprète doit rester maître de lui-même alors que le personnage qu’il joue est en train de perdre tous ses repères. Et c’est ce que j’ai fini par faire, au cours de l’édition 2011 de Présences : chanter Ligeti sur scène en battant la mesure, c’était une belle aventure ! Ce soir-là, j’ai également fait mes premiers pas de chef d’orchestre au sens plus traditionnel puisque j’ai dirigé l’orchestre de chambre Avanti ! dans Renard de Stravinsky. C’était au Châtelet. Et je n’oublie pas de rappeler que dans le cadre de Présences, mais en 2007, j’ai créé La plus forte de Gerald Barry avec le City of Birmingham Symphony Orchestra dirigé par Thomas Adès. À cette époque, je ne dirigeais pas encore !
 
Vous vous êtes donc lancée dans la direction sans avoir jamais pris de leçon…
Au départ, j’ai dirigé pour essayer, sans envisager une carrière de chef, mais je me suis prise au jeu et aujourd’hui je dois assurer deux temps pleins ! Après l’expérience de 2011, j’ai travaillé avec Simon Rattle qui m’a conseillé de prendre des leçons avec Jorma Panula, le maître qui a formé tous les grands chefs finlandais, dont Mikko Franck, et avec qui j’ai travaillé à mon tour. David Zinman aussi m’a aidé. Il est bon que quelqu’un d’extérieur vous regarde et vous donne son avis. La plupart des chanteurs travaillent avec un professeur durant toute leur carrière, car ils ne peuvent pas à la fois chanter et s’entendre, ce qui n’est pas le cas des instrumentistes.
 
Vous qui avez une présence scénique hors du commun, n’êtes-vous pas tentée par la mise en scène ?
Non, tout ce que je veux, dans les années qui viennent, c’est que les expériences auxquelles je participerai traduisent une étroite entente entre le metteur en scène et le chef, que ce soit moi qui dirige l’orchestre ou non. J’ai créé en décembre dernier la version anglaise de The Snow Queen de Hans Abrahamsen à Munich dans une mise en scène d’Andreas Kriegenburg, avec qui j’avais fait Die Soldaten dans le même théâtre. La première de l’opéra a eu lieu en danois, à Copenhague, quelques jours plus tôt, dans une production tout à fait différente… et sans moi. Quant aux ouvrages que j’aimerais chanter, j’ai une liste ; chaque année, quand j’en ai inscrit un à mon répertoire, je barre ! J’ai prévu d’aborder Erwartung avec Simon Rattle. Dès cette saison, à Radio France, je reviendrai à La Voix humaine. Côté Mélisande, j’ai été comblée par les productions de Katie Mitchell et de Krzysztof Warlikowski. J’ai par ailleurs un nouveau projet avec les sœurs Labèque intitulé « Supernova », qui sera une espèce d’installation pour deux pianos, voix et électronique. Et puis, Gerald Barry est en train d’écrire une Salomé que je dirigerai et dans laquelle je chanterai, sur un texte en grande partie anglais, avec quelques passages en français.
 
Une nouvelle Salomé ?
Oui, sur le texte d’Oscar Wilde.
 
N’aimeriez-vous pas chanter celle de Strauss ?
Non, ça me tuerait. De même, j’ai chanté Lulu et Marie des Soldaten, mais je ne peux pas aborder la Marie de Wozzeck. Le rôle est trop lourd pour ma voix, même s’il est passionnant sur le plan dramatique. Il m’est arrivé de chanter la suite pour soprano et orchestre avec plusieurs chefs, mais j’ai toujours mis deux ou trois semaines à m’en remettre ! Voilà une œuvre, en revanche, que j’aimerais diriger.
 
Et la Reine de la nuit ? et le bel canto ?
La Reine de la nuit a été mon premier rôle. Mais tout comme Zerbinette, c’est un rôle acrobatique qui m’aurait enfermée dans une boîte si j’avais persisté à le chanter. Il faut le talent d’une Natalie Dessay pour en révéler des facettes méconnues. Quant au bel canto, d’autres que moi sont passionnées par cette musique et l’interprètent très bien.
 
Teresa Stratas a été Lulu et Violetta…
Oui, elle était canadienne comme moi. C’était une forte personnalité, une magnifique actrice.
 
Aimeriez-vous commander à un compositeur une œuvre dans laquelle vous seriez chanteuse et chef d’orchestre ?
Il est difficile de composer pour quelqu’un qui chante et qui joue. Mais je dois ajouter que j’ai une autre Salomé en projet : elle a été composée par Salvatore Sciarrino à partir des airs de San Giovanni Battista de Stradella, qu’il a nouvellement arrangés. Sciarrino l’a écrite en secret pour moi !
 
Toujours des rôles dramatiques !
Oui, que parfois je rends comiques. De même que j’ai le don de noircir les rôles comiques ! C’est toujours cette histoire de clair-obscur…
 
Vous qui êtes chef d’orchestre et qui maintenant vivez à Paris, que pensez-vous de la féminisation du mot qui, dans certaines gazettes, devient cheffe d’orchestre ?
Je suis tout à fait contre cette féminisation. En anglais, même pour une femme, on emploie le mot actor ; le mot actress est moins respectueux. Conductor n’a pas de genre, de même cellist ou oboist. Je propose d’appliquer le même principe en français.
 
Propos recueillis par Christian Wasselin
 
* Cette œuvre, composée de trois airs de l’opéra Le Grand Macabre, a été créée dans le cadre du festival Présences 1994 par Sonja Pascale et l’Orchestre National de France dirigé par Oswald Sallaberger.
 

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