Britten, les marins, les enfants

Ce sont les Wienersängerknaben (les Petits chanteurs de Vienne) qui commandèrent à Benjamin Britten la partition de The Golden Vanity et en assurèrent la création le 3 juin 1967 au Snape Maltings Concert Hall, dans le cadre du Festival d’Aldeburgh. Anton Neyder, au piano, dirigeait aussi le chœur ce soir-là.
Britten et le ténor Peter Pears possédaient une maison à Aldeburgh, ville située sur la côte est de l’Angleterre, et furent à l’origine, avec le librettiste Eric Crozier, d’un festival qui connut dès 1948 sa première édition. Henri Dutilleux rendra hommage bien des années plus tard à cette heureuse initiative avec For Aldeburgh 85.
L’histoire de The Golden Vanity ? « Un mini Billy Budd », dit le metteur en scène Colin Graham qui a signé pour Britten l’adaptation de cette célèbre ballade anglaise du XVIe siècle, laquelle fut mise en musique dès 1635 sous le titre Sir Walter Raleigh Sailing in the Lowlands. « Un Billy Budd dans une tasse de thé », renchérit le journaliste Pascal Brissaud. Bref, une histoire de marins et de souffrance. The Golden Vanity met en scène un mousse anglais volontaire pour aller percer la coque d’un bateau de pirates turcs, le Turkish Galilee ; en échange, il recevra la main de la fille de son capitaine. Le capitaine accepte sa proposition car les marins anglais, au lieu de se lancer à l’abordage, préfèrent chanter et boire du rhum. Oui mais ce capitaine est influencé par un maître d’équipage jaloux, qui le dissuade de laisser le jeune mousse remonter à bord. Abandonné à la mer, l’enfant se noie.
Britten n’a pas dû forcer son inspiration, lui qui avait composé Peter Grimes en 1945 et la première version de Billy Budd en 1951, lui aussi dont la mer était l’une des amies les plus chères : « La plus grande partie de ma vie s’est passée au bord de la mer, raconte le musicien. La maison de mes parents à Lowestoft faisait face à la mer et mon enfance fut remplie d’orages qui amenaient parfois des vaisseaux sur nos côtes et arrachaient des pans entiers de falaises environnantes. »
The Golden Vanity est conçu comme un « vaudeville », c’est-à-dire comme une partition légère, concise et brillante, bien qu’elle soit d’inspiration tragique et montre l’enfance en proie à la cruauté du monde, autre thème cher à Britten. On peut l’entendre aussi comme un petit opéra collectif qui illustre des passions rendues d’autant plus cruelles qu’elles sont exprimées par des voix d’enfants. Qui d’autre que lui pouvait composer A Boy Was Born, que chantera également la Maîtrise, cette fois le 30 novembre ?
Dominique Tinos