Cultiver l'art vocal

Sofi Jeannin directrice du Chœur et de la Maîtrise de Radio France s’entretient, avec Vincent Josse, producteur à France Inter

Mardi 18 avril 2017
Cultiver l'art vocal | Maison de la Radio et de la Musique

Vincent Josse : Un anniversaire chasse l’autre pour les deux grandes formations que vous dirigez, Sofi Jeannin. Aux 70 ans de la Maîtrise célébrés en 2016, succèdent les 70 ans du Chœur de Radio France. À quoi va ressembler cet anniversaire du Chœur ?

Sofi Jeannin : Il faut tout d’abord souligner que la saison à venir, qui célèbre ce 70e anniversaire, va permettre au public d’entendre le Chœur dans une belle diversité de grands ouvrages symphoniques et vocaux. Et bien évidemment, nous avons aussi prévu une fête d’anniversaire, en avril, dans le cadre d’un week-end entièrement consacré à l’art vocal, au cours duquel le chœur donnera un programme dirigé par plusieurs chefs : mon prédécesseur Matthias Brauer, mais aussi des chefs invités qui sont habitués à travailler avec nous. Pour ma part, je dirigerai la création d’une oeuvre dont nous avons passé commande à Philippe Hersant pour cette occasion.

V. J. : Comment entre-t-on au Chœur de Radio France ?

S. J. : Comme pour les orchestres, sur concours. Un concours extrêmement exigeant, qui comporte plusieurs tours. On peut parfois entendre une centaine de candidats pour un seul poste. Quand on entre dans ce chœur, on a un poste et un travail à plein temps. Nous n’avons pas les mêmes échéances qu’un orchestre qui commence à répéter en début de semaine et donne le concert en fin de semaine. Le Chœur travaille davantage en amont, sur le texte, et pour trouver un son qui varie en fonction du style, à la langue chantée, etc. Tout ce travail crée une vraie dynamique de groupe.

V. J. : Vous dirigez depuis longtemps maintenant la Maîtrise, et depuis deux ans le Chœur de Radio France, y trouvez-vous une cohérence et si oui laquelle ?

S. J. : Le contexte est vraiment très différent. À la Maîtrise, je suis leur chef mais je suis aussi leur professeur, car les enfants sont encore en formation. Lorsque je travaille avec le Chœur, je ne suis pas là pour les former car j’ai affaire à des professionnels et la méthodologie n’est pas la même. Cependant, je garde ma personnalité : je suis moi-même face au Chœur comme je suis moi-même face à la Maîtrise. Par ailleurs, le fait d’avoir une vue d’ensemble sur les formations vocales – nous qui défendons l’art choral – nous donne une plus grande force de frappe et nous permet de veiller à ce que l’art choral soit inscrit dans la culture des concerts et dans la saison. À Radio France, nous disposons d’une force vocale exceptionnelle qui mérite d’être mise en avant et éclairée par la saison musicale.

V. J. : Toute cette activité se déroule à la Maison de Radio France, avec les quatre formations musicales qui travaillent elles-mêmes avec des hommes et des femmes de radio…

S. J. : Tous les musiciens ici ont conscience de l’antenne et de son importance. La prise de son est véritablement un sujet pour eux. Ils regardent où sont placés qu’un instantané et qu’il sert aussi à être enregistré, diffusé et conservé dans les archives. Devant une salle de concert, on pense à ces auditeurs, qui sont invisibles pour nous, mais que l’on sent présents. Cette culture du son est unique et commune à toutes nos formations. Je le vois même chez les plus petits à la Maîtrise, ils ont cette conscience que le son est important et ils écoutent. D’ailleurs, la flexibilité qui est la leur en toutes circonstances vient, à mon sens, de cette conscience sonore.

V. J. : Puisque cette année est une année de fête pour le Chœur, est-ce que vous prévoyez, par exemple, de grands enregistrements avec lui ?

S. J. : Je projette de pouvoir enregistrer Figure humaine de Poulenc. C’est un projet qui me tient particulièrement à cœur, car Poulenc a écrit cet ouvrage en imaginant une très grande formation alors que les enregistrements qui existent aujourd’hui sont toujours effectués avec des choeurs de chambre, parfois avec des ensembles vocaux avec un, deux ou trois chanteurs par voix. Il me semble que ce serait un très beau projet de faire entendre cet ouvrage par le grand choeur français qu’est le Chœur de Radio France .

V. J. : En 2017, le nombre de femmes qui dirigent est assez faible, est-ce que le milieu de la musique est misogyne ?

S. J. : Parfois, comme dans d’autres milieux. En tous cas, dans la position de chef dans laquelle je suis et dans la position hiérarchique qui est la mienne, mon rôle d’autorité est clair. Lorsque j’ai concouru au poste de directrice musicale de la Maîtrise, le fait que je sois une femme n’a jamais été une question : on cherchait une personne et c’est tout. Et ce fut exactement la même chose pour le Choeur. Mais quand j’étais jeune, il n’y avait pas beaucoup de femmes chefs auxquelles je pouvais m’identifier et j’ai mis du temps avant de découvrir des femmes dans le métier. Pour la direction chorale, plusieurs personnes ont marqué mon parcours. J’ai connu des chefs de chœur excellentissimes en Scandinavie. J’admire par exemple le travail de Grete Pedersen, et celui de Cecilia Rydinger Alin. Pour l’orchestre, j’ai été très impressionnée par l’entrain, l’énergie et les capacités managériales de Marin Alsop, et je suis très admirative de Suzanna Mälki, la chef, la musicienne et la personne.

V. J. : Avant d’avoir appris la direction, vous avez été chanteuse, Sofi Jeannin, et même pianiste…

S. J. : J’ai commencé par les deux en même temps, et à vrai dire je crois que je cherchais avant tout un moyen de m’exprimer. J’étais intéressée par la culture et par l’art. Mes parents m’ont dit que j’ai chanté dès que j’ai su émettre un son et que je chantais tout le temps ! Ils ont également repéré, même s’ils ne sont pas musiciens, que dès que j’entendais un générique à la télévision, je courais au piano pour le jouer et le chanter. Ils voyaient qu’il y avait chez moi une mémoire musicale, une capacité d’invention, un appétit, et que, surtout, si je pouvais le décider moi-même, je ferais de la musique toute la journée !

V. J. : Est-ce que vous vous dites parfois que vous auriez pu embrasser une autre carrière ?

S. J. : Lorsque j’étais enfant, j’adorais l’aventure, les voyages… Collégienne, je voulais être journaliste. On avait un correspondant à Washington à l’époque, que j’écoutais avec admiration, et je me disais que prendre ainsi le pouls de l’univers et de tout ce qui se passe dans monde était extraordinaire. Un peu plus tard, j’ai voulu être ethno-musicologue. Vers seize ou dixsept ans, j’ai créé mon propre choeur avec des adolescents de mon lycée. J’organisais des concerts un peu partout dans la ville, dans les salles des fêtes, les églises, mais également dans une prison, à l’hôpital, dans une maison de retraite. L’idée de porter la musique à la communauté était quelque chose qui me passionnait. Et puis, pour financer mes études, je faisais aussi des petits boulots : jardinière au cimetière, guide dans des églises historiques, dans des musées… J’ai été serveuse dans de nombreux endroits, vendeuse dans différentes boutiques.

V. J. : Vous avez une voix de mezzo, et vous avez été engagée dans un chœur londonien, les London Voices. Quelles envies aviez-vous à l’époque ?

S. J. : J’étais déjà déterminée à me tourner vers la direction et je rêvais de pouvoir peut-être un jour diriger un ensemble professionnel. J’étais ambitieuse et enthousiaste mais surtout très exigeante envers moi-même, et j’ai mis du temps à oser sauter le pas. Car, comme je vous l’ai dit, je ne venais pas d’un milieu musical et même si j’ai pu explorer ma passion pour la musique, par crainte d’exclusion, je le cachais un peu. Je me sentais un peu solitaire dans une ville où l’on s’intéressait parfois davantage au hockey sur glace ou à la chasse. C’est seulement lors de mes études supérieures que j’ai enfin trouvé cet univers de musiciens avec lesquels j’avais des affinités et avec lesquels je pouvais parler, que cette décision s’est imposée à moi. Ce fut une grande révélation.

V. J. : À quel moment avez-vous quitté la Suède pour la France et pourquoi ?

S. J. : Le lendemain de mon baccalauréat. J’avais hâte de partir car je me sentais enfermée dans mon village. Et puis, mon père étant né en France, j’ai toujours senti qu’il y avait une partie de mon identité à découvrir, déjà en apprenant à parler français. On ne prend pas toutes les décisions par stratégie. La vie nous emmène dans des endroits différents. En Suède, j’aurais eu l’impression de passer à côté de quelque chose, même si j’adore mon pays et que j’adore y retourner pendant les vacances pour voir ma famille et pour y travailler aussi, parce que je dirige également en Suède. Mais aujourd’hui, je me sens trop déracinée pour y vivre à plein temps. Sans doute par ma double culture, mais aussi pour avoir grandi dans une famille de voyageurs, car on voyageait beaucoup grâce à mon père. Enfant, j’ai passé beaucoup de temps aux États- Unis, et le voyage, l’aventure sont des choses qui m’ont toujours fascinée. Je me sens extrêmement bien en France et à Paris parce que c’est une métropole de cultures et de rencontres différentes. Lorsque je regarde les Maîtrisiens, ils ont tous des parcours très différents. De même, les chanteurs du Chœur de Radio France viennent des quatre coins du monde : de Chine, du Japon, de Pologne, d’Italie, d’Amérique, d’Australie… J’ai trouvé un milieu qui correspond à mon propre déracinement.

V. J. : À vous entendre parler de votre enfance, en Suède dans ce petit village, à vous entendre avoir été complexée parfois de dire que vous aimiez la musique parce que les autres vous montraient un peu du doigt, j’ai l’impression que la Maîtrise, pour vous, Sofi Jeannin, c’est aussi apprendre à être heureux dans la vie et dans le domaine qu’on exerce.

S. J. : Oui, c’est exactement cela. Avec les Maîtrisiens, ce que j’espère obtenir avec toute mon équipe, c’est avant tout des enfants confiants, bien dans leur peau, capables de comprendre qu’on a le droit d’aimer certains répertoires, aimer chanter, ce qui n’empêche pas d’aimer d’autres choses aussi.

V. J. : Il y aura dix ans à l’automne que le site de Bondy a été créé. Quel était le principe et quelle est l’ambition de ce lieu ?

S. J. : La création de ce site répondait à une volonté de Radio France d’élargir l’effectif car la Maîtrise avait une saison très lourde qui reposait sur les épaules d’un nombre d’élèves insuffisant. Il y avait de plus le besoin de rajeunir l’effectif, car, je l’ai constaté à mon arrivée, par exemple, dans une œuvre comme la Troisième Symphonie de Mahler, le choeur d’enfants était complété par des jeunes filles plus âgées, alors que l’on doit véritablement entendre des voix d’enfants. Et puis à Bondy, nous étions face à un lieu stratégique, où l’on est loin des structures d’enseignement d’excellence comme celle de Radio France, et nous tenions à nous implanter dans un endroit où l’on trouverait un public qui n’aurait pas forcément accès à cela. Avec les études maîtrisiennes, par les exigences et la discipline, l’enfant apprend l’autonomie, la concentration, la responsabilité individuelle et collective, le travail avec les autres pour un but commun. Nous avons des enfants de toutes les origines, de tous les milieux. Et ce n’est pas du tout une approche consciente, c’est uniquement parce que nous travaillons avec des enfants qui vivent dans nos quartiers et que ces enfants viennent vers nous. Il me semble que cela n’a pas toujours été un droit chemin pour toutes les cultures, en France et à l’étranger, de se tourner vers la musique qu’on appelle classique. Travailler pour un service public, être financé par tous les citoyens de ce pays, nous donne l’obligation de garantir l’accès à la musique et à la culture et de la rendre la plus accessible possible.

V. J. : Quels sont vos souhaits pour la saison à venir ?

S. J. : Nous sommes inscrits dans une dynamique qui ne demande qu’à s’intensifier et à s’enrichir. Si je regarde le répertoire que le Chœur va explorer au cours de la saison, qu’il s’agisse des grands concerts a cappella en tutti ou avec les orchestres de la maison, ou des musiques un peu plus alternatives que nous aborderons pour la Saint-Valentin, je trouve qu’il se présente vraiment comme une formation vivante, innovante, pleine d’énergie. Vous savez, présenter une nouvelle saison, c’est un peu préparer les cadeaux de Noël en espérant qu’ils vont plaire ! Avec la Maîtrise, c’est la même chose. Non seulement nous continuons à défendre le répertoire choral pour enfants, à encourager le nouveau répertoire, à chanter avec des enfants non spécialisés, mais cette année nous allons rentabiliser un peu plus les productions scéniques ambitieuses que nous montons. Nous allons donner un opéra pour enfants, deux ou trois fois, chaque fois avec de nouveaux enfants qui viendront chanter à côté de la Maîtrise. Ce qui veut dire que nous allons toucher une multitude d’enfants en plus.

Propos recueillis par Vincent Josse

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