Éloge du madrigal

Toute nation a son musicien italien de renom. La France a son Lully, la Russie son Cimarosa, l’Angleterre son Porpora. Mozart, nation à lui tout seul, a son Metastasio. De la même manière, si l’Italie de la Renaissance et du Baroque diffuse ses musiciens, elle en accueille d’autres qui viennent y apprendre toutes les possibilités de la voix et de l’instrument : certains violonistes écossais ont appris la virtuosité auprès de Corelli pour inventer la musique traditionnelle celtique, et le très germanique Schütz a étudié à Venise auprès de Giovanni Gabrieli de 1609 à 1613. Le maître-mot dans tous ces échanges, ces influences et ces allers-retours : l’éducation.
Il y a beaucoup de façons de parcourir l’histoire de la musique : la biographie des musiciens, la chronologie des œuvres du répertoire, etc. Il y a aussi la lecture des traités. Rendus largement accessibles sur internet de nos jours, ces traités de chant ou d’instrument, écrits par des pédagogues compositeurs, non seulement renseignent les interprètes d’aujourd’hui sur les habitudes interprétatives de leurs ancêtres mais ont surtout facilité la diffusion du style italien dans l’Europe de la dernière partie de la Renaissance. Il faut ainsi citer l’introduction des Nuove Musiche de Giulio Caccini en 1602, considéré comme le traité de chant majeur pour toute l’Europe du XVIIe, qui explique comment enrichir librement la monodie par des figures ornementales soutenues par une basse continue souple. Ce traité (ainsi que bien d’autres évidemment) représente un point de rencontre discret mais essentiel pour le passage à l’époque baroque.
Giulio Caccini a de ce fait expliqué à toute l’Europe la recette du succès italien : reprendre les monodies de la Renaissance (les chansons françaises, espagnoles, italiennes et anglaises) pour les ornementer de façon virtuose (vocalement et instrumentalement). Programme de travail qui ne pouvait que séduire les musiciens des différents goûts européens !
Évidemment, Caccini ne fait que sanctionner une pratique déjà bien mise en place : de 1555 à 1620, plus de 85 volumes de madrigaux italiens ont été imprimés à Anvers. Le flux des années 1550, avec la musique de Lassus et Waelrant, est devenu un fleuve qui submergea l’Europe de la première partie du XVIIe. Dans la dernière partie de ce siècle, l’intérêt pour ce nouveau style avait atteint l’Europe du Nord jusqu’à devenir ce que nous savons : de l’opéra italien composé par Mozart. Un des repères les plus audibles de ce raz-de-marée : le retour en 1731 du jeune compositeur d’opéras Hasse, parti étudier en Italie et qui, en accédant au poste de cantor de Dresde, a métamorphosé le style de ses contemporains, dont celui de Zelenka (1679-1745). Grâce aux traités italiens, Zelenka a pu acquérir le style napolitain qui allait rapidement colorer les églises et les salles de Dresde.
Si nous retenons de l’influence italienne le déplacement géographique des musiciens, il ne faut pas oublier que ce qui relie Zelenka à Gesualdo, Vivaldi, Soffi, Gesualdo ou Galuppi, et tous ces musiciens à nous, au XXIe siècle, ce sont les traités, ces manuels pédagogiques qui ont diffusé le style italien (Ganassi, Caccini, Tosi, Mancini, etc.). Ils nous servent pour ressusciter ces musiques et pour perpétuer la tradition madrigalesque au sein de l’écriture contemporaine d’un Tine Bec et d’un Andrej Makor.
Christophe Dilys