Mademoiselle la contrebasse

Lorraine Campet et Yann Dubost œuvrent depuis quelques années avec passion au sein du pupitre de contrebasses de l’Orchestre Philharmonique de Radio France. Occasion de savoir ce qu’ils éprouvent au sein du collectif qu’est l’orchestre symphonique, à mille lieues du musicien névrosé de la pièce-monologue La Contrebasse de Patrice Süskind, qui entretenait un rapport d’amour-haine avec son instrument.
Si Süskind avait rencontré Lorraine Campet et Yann Dubost, il n’aurait jamais pu écrire cette pièce sur le complexe du malheureux contrebassiste souffrant d’être relégué dans l’anonymat ! Au contraire, les deux jeunes membres du pupitre de contrebasse du Philhar, en poste depuis 2016 et 2011, évoquent avec enthousiasme leur métier de musicien. Pour la première, la rencontre de la contrebasse s’est faite naturellement, parallèlement au violon dont elle est également diplômée, grâce à des parents musiciens et au professeur qui l’accompagnera jusqu’aux portes du CNSMD de Paris. À l’inverse, Yann a abordé la contrebasse par des voies détournées, le violoncelle et le violon (qu’il pratique aussi à un haut niveau), jusqu’au jour où il a « flashé » sur cette grande demoiselle au galbe généreux lors d’un concert où était programmée l’Histoire du soldat de Stravinsky.
Que pensent les deux musiciens de leur instrument fétiche ? Son caractère, parfaitement croqué par Nino Rota dans son Divertimento (1971) et Saint-Saëns dans un solo du Carnaval des animaux, peut déborder sur des aspects grotesques (dans la Première Symphonie de Mahler). D’ailleurs, quand elle ne joue pas, la contrebasse conserve ses attributs éléphantesques : il suffit d’observer un contrebassiste essayant de frayer un chemin à son instrument monté sur roulette dans un train bondé où rien n’a été prévu pour l’accueillir. Un contrôleur mal luné peut alors transformer le voyage du pauvre musicien en cauchemar...
La prise de contact de nos deux musiciens se fit à deux âges différents (cinq ans pour Lorraine, douze pour Yann), mais tous deux racontent avec des paillettes dans les yeux les premières vibrations qu’ils réussirent à tirer de leur nouveau joujou dont on fabrique aujourd’hui des petits modèles adaptés aux enfants. Plus besoin en effet d’attendre d’être un grand pour ressentir ces « sensations très différentes du piano ou du violon, confie Yann Dubost, qui nous amènent à prendre rapidement conscience de la dimension physique spécifique à cet instrument ».
Un élément incontournable ayant déterminé leur choix à tous les deux, c’est son aspect polyvalent sur le plan des répertoires, du big band de jazz à l’orchestre symphonique en passant par le tango, les musiques klezmer, américaines ou la musique de notre temps, ce qui dope la curiosité de l’enfant et maintient le professionnel constamment en alerte. De nombreux contrebassistes n’ont pas forcément commencé à jouer de leur instrument dans sa version « classique » mais après plusieurs années de jazz.
Au sein d’un orchestre comme le Philhar, le rôle des contrebassistes serait plutôt à rapprocher de celui des instrumentistes à vent, tantôt intégrés au sein de leur pupitre, tantôt solistes s’illustrant dans de vertigineux solos. Leur position emblématique, à jardin derrière le pupitre de violons I ou à cour derrière les violoncelles, les situe d’emblée en position de surplomb (alors qu’ils constituent le soubassement de l’harmonie) offrant à l’ensemble du pupitre une vue panoramique sur l’orchestre (notamment la petite harmonie) et un coup d’œil imprenable sur le chef, néanmoins à bonne distance pour être toujours pile à l’heure ! Dans l’Adagietto de la Cinquième de Mahler, la communication peut se faire visuellement avec la harpe située à cour, tandis qu’historiquement, dans l’Octuor de Schubert, le Septuor de Beethoven ou la Gran Partita de Mozart, la contrebasse établit un lien essentiel entre les différents instruments, notamment entre l’harmonie et les cordes. « Elle est donc davantage à son aise à proximité des vents alors qu’elle ne fait pas partie du quatuor à cordes », précise Yann.
À l’Orchestre Philharmonique, une belle connivence règne entre les différents membres du pupitre, notamment grâce à une forte estime mutuelle. Des affinités que ses membres cultivent au sein du groupe Bass’tett, eux dont la jeunesse (Lorraine Campet a été intronisée à dix-sept ans) et la polyvalence (l’un s’essaie actuellement à la mandoline quand un autre tâte du violoncelle sur instrument d’époque !) constituent des atouts maîtres.
Benjamin François