La musique et la langue de volière

Un maître de chapelle, sur un arbre perché, organise une drôle de répétition. Il s’agit d’un hibou posé sur un petit pupitre et qui lève la griffe droite pour marquer le tempo. Autour de lui, composant un feuillage multicolore, cygnes, aigles, perroquets et autres oiseaux chantent à becs déployés ! Le Concert d’oiseaux du peintre flamand Jan van Kessel prend au pied de la lettre l’expression « oiseau musicien ». Puisque l’animal est une allégorie de la musique depuis l’Antiquité, il n’est pas anodin que son chant soit au cœur de nombreuses œuvres musicales, et ce depuis des siècles.
Représenter et imiter
Il n’est pas certain que les premières flûtes préhistoriques aient été inspirées par le chant des oiseaux. En revanche, des siècles plus tard, leurs gazouillis donnent lieu à une œuvre remarquable de Clément Janequin. Dans sa chanson polyphonique Le Chant des oyseaux (1537), il fait chanter diverses onomatopées à quatre chanteurs : à travers couplets et refrains, les musiciens pépient comme l’alouette, le merle, l’étourneau, le rossignol ou encore le coucou. Ce dernier a droit à un traitement spécial puisque son chant n’est pas désigné par la sonorité « coucou » mais par celle de « cocu », rappelant la tendance du volatile à faire son nid dans celui des autres oiseaux…
Au coucou de Janequin répondent les pièces de clavecin telles que Le Rossignol en amour (1722) de François Couperin, Le Rappel des oiseaux (1724) de Rameau, ou encore Le Coucou (1735) de Louis Daquin. Dans cette dernière page imitative, il faut noter que le chant du coucou est évoqué de la même manière que chez Janequin : par une tierce descendante. On retrouvera ce même intervalle dans les pages mélancoliques du Carnaval des animaux (1886) de Saint-Saëns : « Le Coucou au fond des bois ».
Cygnes et symboles
« Symphonie pastorale, ou souvenir de la vie à la campagne (plus expression du sentiment que peinture) ». Cette mention présente dans le programme de la Sixième Symphonie (1808) de Beethoven nous renseigne sur le fait qu’avec cette œuvre, l’intérêt ne réside plus tant dans l’imitation de la nature que dans les sentiments et les impressions qu’elle peut nous faire ressentir. Une idée centrale chez les musiciens romantiques, qui n’empêche pas Beethoven de recourir à des imitations de chant d’oiseaux dans le deuxième mouvement de sa symphonie avec un chant de caille joué par le hautbois et un coucou interprété par la clarinette (encore des tierces descendantes !). L’oiseau niche également dans les opéras Rinaldo (1711) et Giulio Cesare (1723) de Haendel, jusqu’à l’oiseau magique de Siegfried (1873) ou encore Lohengrin (1848) de Wagner. Dans cet opéra, le personnage mythologique apparait à la cour du roi Henri l’Oiseleur en arrivant sur une nacelle tirée par un cygne. Le cygne qui, selon Platon, ne chante son plus bel air qu’une fois son heure venue. Un symbole qui traverse les siècles et dont se souvient l’éditeur de Schubert en donnant le titre de Chant du cygne (1828) à son dernier recueil de lieder.
Olivier Messiaen a passé sa vie à étudier et à identifier les chants d’oiseaux pour les intégrer à ses partitions originales. Un versant stylistique particulièrement fécond dans les années 50 avec Le Merle noir, Réveil des oiseaux, Catalogue d’oiseaux ou encore Oiseaux exotiques. Dans cette dernière œuvre, un piano et un petit orchestre n’interprètent pas moins de quarante-six espèces d’oiseaux du monde entier ! Quand le chant des oiseaux n’est pas « joué » comme chez Messiaen ou Florentz, il peut être diffusé au sein d’œuvres électroacoustiques et mixtes comme l’ont montré Christian Zanési, François-Bernard Mâche ou encore Murray Schaffer dans ses paysages sonores. On pourrait citer Respighi, qui fait entendre un vrai rossignol dans ses Pins de Rome, mais l’œuvre mixte la plus fameuse à cet égard est peut-être le Cantus arcticus (1972) du finlandais Rautavaara, une pièce faisant dialoguer des enregistrements de chants d’oiseaux arctiques diffusés par des haut-parleurs avec un orchestre aux couleurs stravinskiennes. Stravinsky dont les ballets L’Oiseau de feu (1910) et Le Chant du rossignol (1917) nous rappellent l’importance de l’oiseau comme symbole même de la musique. Inspiré d’un conte d’Andersen Le Chant du rossignol raconte même comment un oiseau mécanique échoue à surpasser le chant d’un véritable rossignol !
Max Dozolme