Le bel âge des maisons de la culture

Ouverte en 1968 à l’occasion des Jeux olympiques d’hiver, la Maison de la culture de Grenoble fait partie des structures-phares de la décentralisation culturelle. André Malraux, alors ministre chargé des Affaires culturelles de Charles de Gaulle, l’inaugure le 3 février de cette même année, il y a plus d’un demi-siècle déjà.
« La première raison d’être de cette Maison de la culture, c’est que tout ce qui se passe d’essentiel à Paris, doive se passer en même temps à Grenoble. » Cette déclaration extraite du discours du ministre continue de résonner tant l’offre culturelle y est dense et riche. Avec quatre-vingts spectacles par an, la MC2, labellisée scène nationale en 1990, est l’un des viviers artistiques majeurs en France. Cent mille spectateurs y viennent chaque année. Ce bâtiment « monobloc », représentatif de l’architecture moderne des années 60, offre un jeu subtil entre forme et couleur avec ses murs de béton revêtus de tôle émaillée blanche. En 1985, il fut surnommé « Le Cargo » par son directeur d’alors, le chorégraphe Jean-Claude Gallotta. L’architecture rappelle effectivement les formes d’un gros paquebot blanc surmonté de deux volumes noirs.
Lors de sa construction, l’architecte André Wogenscky (collaborateur de Le Corbusier) déclarait souhaiter « un lieu de rencontre où devaient se trouver spontanément solidaires, hommes, femmes, jeunes gens venus de partout, quels que soient leur idéologie, leur religion, leur âge et leur idéal ». Pari réussi tant la conception offre aujourd’hui un lieu de vie ouvert à la culture, à la création… et à tous !
En 1999, démarre un grand chantier de réhabilitation et d’agrandissement (qui durera six ans) sous la direction de l’architecte Antoine Stinco. Un nouvel édifice est relié au bâtiment principal par deux passerelles de verre. Il surplombe le Jardin des dragons et des coquelicots, parc de jeu et d’aventure parsemé de sculptures hétéroclites en provenance de plusieurs pays, pensé par la plasticienne Dominique Gonzalez-Foerster. Lors de sa réouverture, le 17 septembre 2004, la Maison de la culture prend le nom de MC2 : Grenoble. Elle est alors labellisée « Patrimoine du XXe siècle ». Très prochainement, le 1er janvier 2021, l’auteur et metteur en scène Arnaud Meunier (actuel directeur de La Comédie à Saint-Étienne) prendra la succession de Jean-Paul Angot à la direction de la MC2.
Au-delà de son restaurant La Cantine et des expositions temporaires dans son hall, la MC2:Grenoble compte aujourd’hui deux studios de danse, un studio d’enregistrement, une salle de répétition, des ateliers et quatre salles de spectacle qui accueillent théâtre, danse, cirque et musique. Pour leur acoustique, Antoine Stinco a fait appel à l’agence Peutz & Associés (chargé de l’acoustique de l’Espace de projection de l’Ircam à Paris en 1977).
À Grenoble, au Havre et ailleurs
La MC2 : Grenoble est un exemple de démocratisation et de décentralisation culturelle, parmi tant d’autres. Si aujourd’hui l’on compte une quinzaine de Maisons de la culture sur l’ensemble du territoire français, l’idée naît dès la fin des années 50, portée par le tout nouveau ministère des Affaires culturelles. Un projet d’excellence qui tend à rendre accessibles les œuvres capitales au plus grand nombre possible de Français en dotant chaque département de sa propre Maison de la culture afin de lutter contre l’hégémonie de la capitale. La première à voir le jour, inaugurée en 1961, est au Havre. André Malraux y prononce cette phrase devenue célèbre : « Il n’y a pas une maison comme celle-ci au monde, ni même au Brésil, ni en Russie, ni aux États-Unis. Souvenez-vous, Havrais, que l’on dira que c’est ici que tout a commencé. »
En dix ans, de 1961 à 1971, huit Maisons de la culture sont édifiées. Les autres suivront jusqu’au début des années 1980. Rappelons toutefois qu’elles se sont heurtées à de nombreux conflits avec les municipalités (finançant pour moitié), et à des critiques pointant la conception élitiste de l'art… Sur ce dernier point, Malraux se défendait lors de l’inauguration à Grenoble : « Il n’y a pas de culture sans loisirs. J’insiste sur ceci : ne voir dans la culture qu’un emploi des loisirs, c’est assimiler le public des Maisons de la culture à la bourgeoisie de naguère ».
L’art pour tous, c’est ce que souhaitait André Malraux. Les Maisons de la culture le permettent plus que jamais.
Gabrielle Oliveira Guyon