Messiaen amoureux de Pelléas

Si Pelléas et Mélisande n’avait pas existé, quel aurait été le destin de Messiaen ? La question mérite d’être posée, car l’opéra de Debussy joua un rôle fondamental dans la vie du compositeur français, et décida de sa vocation. Il en avait eu la révélation dès son plus jeune âge, lorsque son premier professeur d’harmonie, Jehan de Gibon, lui avait offert la partition d’orchestre pour son dixième anniversaire : un « coup de foudre », selon le garçonnet, qui l’aurait déchiffrée « en pleurant d’émotion ».
Si Don Giovanni, Tristan et Isolde, Boris Godounov, Wozzeck comptent aussi parmi ses partitions de chevet, Pelléas demeure unique à ses yeux. Ce sera d’ailleurs l’œuvre la plus analysée par Messiaen tout au long de sa vie, un grand classique de son enseignement au Conservatoire de Paris. Dans le drame de Debussy, l’auteur de Saint François bénit « l’amour extraordinaire des colorations d’accords », lui qui, à la lecture d’une partition, entend « des couleurs correspondantes qui tournent, bougent, se mélangent, comme les sons tournent, bougent, se mélangent, et en même temps qu’eux ».
Debussy disait-il autre chose en 1907 ? « Je me persuade de plus en plus que la musique n’est pas, par son essence, une chose qui puisse se couler dans une forme rigoureuse et traditionnelle. Elle est de couleurs et de temps rythmée. » Dans la partition de Debussy, l’orfèvre musicien qu’est Messiaen chasse les joyaux inattendus et inexplorés, et les enchâsse dans ses propres partitions. Si la scène 3 de l’acte I de Pelléas est sa préférée, il entend dans « l’accord de Golaud » (acte I, scène 1) la matrice d’harmonies à venir ; celles, détournées, réinventées, par Ravel, Stravinsky, Milhaud…. et par lui-même dans bien des pages.
Jérémie Rousseau