Qui étaient les Six ?

IL ÉTAIT UNE FOIS SIX JEUNES MUSICIENS que réunissait une franche camaraderie. L’aîné s’appelait Louis Durey, il avait vu le jour en 1888. Trois autres étaient nés en 1892 (Arthur Honegger, Darius Milhaud et Germaine Tailleferre) et deux en 1899 (Francis Poulenc et Georges Auric). En 1918, la France sort de la guerre. L’Allemagne est vaincue et, pour certains, la musique allemande est elle aussi défaite. L’heure est aux Années folles, celles de l’insouciance et de la légèreté retrouvées. Wagner, voilà l’ennemi ! Place à une musique claire, nette, concise, à la manière de Satie ; des mélodies franches plutôt qu’un récitatif sinueux, de la polytonalité ensoleillée plutôt qu’un chromatisme humide et ténébreux !
Mais les ressemblances entre les six musiciens s’arrêtent là : contrairement au groupe des Cinq qui, au siècle précédent, avait réuni cinq compositeurs souhaitant défendre une certaine idée de la musique russe, loin des conventions occidentales, les Six n’adoptèrent aucune posture militante. La clarté qu’on a citée n’était que la promesse d’un idéal : celui d’une musique française réconciliée, pleine d’allant, libérée de la métaphysique.
Le groupe des Six n’exista en lui-même que quelques années. Il vit le jour de manière informelle dès 1918, à Montparnasse, où Blaise Cendras organisait des expositions de peinture et œuvrait au dialogue entre les arts. Deux ans plus tard, Darius Milhaud invita cinq de ses amis compositeurs chez lui, et c’est ce soir-là que le journaliste Henri Collet annonça dans un article de Comoedia la naissance d’un « groupe des Six ».
Une œuvre collective (Les Mariés de la tour Eiffel) et un manifeste de Cocteau (Le Coq et l’Arlequin) donnèrent l’illusion d’une esthétique commune, mais les dîners qui réunissaient les six musiciens, le samedi, au cabaret Bœuf sur le toit, s’arrêtèrent en 1923 après la mort de Raymond Radiguet, ami de Cocteau (Durey s’en était retiré dès 1921).
Chacun continua de parcourir son propre chemin, avec des fortunes diverses. Si Poulenc semble définitivement inscrit au répertoire, Milhaud et Honegger y apparaissent de manière moins régulière. Auric, lui, est resté célèbre pour ses musiques de film. Quant à Tailleferre et Durey, on aura l’occasion de redécouvrir leur musique. Cent ans plus tard, Radio France remet à l’honneur des musiciens qui ne rechignaient pas à utiliser les rythmes du music-hall et les couleurs du cirque pour épicer leurs partitions.
Christian Wasselin