Taras Bulba selon Janacek
Né en Moravie, Leos Janacek a toute sa vie revendiqué ses racines slaves. Bien qu’il ait fait une partie de ses études à Leipzig et à Vienne, il rejette la culture germanique. En regardant vers l’Est, il nourrit une véritable passion pour la civilisation russe et pour la langue russe – et va jusqu’à l’apprendre. Fondateur de l’école d’orgue de Brno, il cofonde dans la même ville un Cercle russe et puise à plusieurs reprises son inspiration dans la littérature russe : outre Taras Bulba d’après Gogol, qui nous occupe ici, son Premier Quatuor à cordes est inspiré de La Sonate à Kreutzer de Tolstoï ; quant au livret de son dernier opéra, De la maison des morts, il est emprunté à Dostoïevski.
Janacek avait lu dès 1905 le roman de Gogol (1843), qui narre la lutte féroce d’un chef cosaque zaporogue contre les Polonais dans l’Ukraine du XVIIe siècle. Un projet de rhapsodie pour orchestre naît dans les dernières semaines de 1914, alors que commence une guerre où s’affrontent la Russie et l’Allemagne, alliée à l’Autriche-Hongrie. Dans ce contexte, les Russes sont vus par le musicien tchèque comme les possibles libérateurs d’une Bohême et d’une Moravie assujetties à la tutelle autrichienne.
Le choix du compositeur se porte sur trois épisodes – points d’orgue dramatiques du roman : l’assassinat par Taras de son propre fils Andreï, passé à l’ennemi pour l’amour d’une jeune fille ; le supplice, sous ses yeux, de son second fils, Ostap, capturé par les Polonais ; la mort du héros, sur un bûcher, clamant en une ultime prophétie sa confiance dans la victoire finale. Si horrible qu’il soit, le drame humain est sublimé par sa dimension épique. En 1924, l’auteur en éclaire la signification en paraphrasant une des dernières phrases du roman : « Il n’existe pas de feux ni de souffrances qui puissent vaincre la force russe ». Taras Bulba est donc un hymne à la Russie et à la liberté.
A la suite des grands poèmes symphoniques nationaux de Dvorak et Smetana, Taras Bulba est une œuvre abrupte et poignante. Seul Janacek pouvait dépeindre dans toute sa grandeur et sa cruauté l’histoire du chef cosaque. A la concision du style gogolien répond le langage direct et viril d’un musicien qui touche droit au cœur. L’orchestration, riche et colorée, est rehaussée d’orgue et de cloches qui renforcent son caractère épique. Sans suivre le roman à la lettre, la partition évoque l’essentiel des épisodes retenus : l’idylle d’Andreï avec sa belle Polonaise puis la bataille, sa capture et sa mort, sur quelques notes de violon ; la marche des prisonniers cosaques, leur supplice sur une place publique et l’ultime cri de désarroi d’Ostap à la petite clarinette ; le dernier combat et la mort glorieuse de Taras, traitée sans l’ombre de tristesse, avec une ardeur guerrière non dénuée d’emphase.
Composée en 1915, révisée en 1918, l’œuvre fut créée le 9 octobre 1921 au Théâtre national de Brno sous la direction de Frantisek Neumann.
R. F.
Le concert du 5 février sera diffusé en direct sur France Musique.