Une école de piano russe ?
Mardi 26 Février 2019
« En Russie, les enfants apprennent dès le plus jeune âge à user de larges associations, à être toujours imaginatif afin de pouvoir parler en musique ». Andreï Korobeïnikov ne s’y trompe pas, tout au moins pas dans cet entretien filmé à l’occasion de son passage à l’Auditorium du Louvre en 2012. Dans son pays, le piano n’est pas qu’un instrument, et fait figure (au même titre que la cathédrale Saint-Basile, Dostoïevski ou le bœuf Strogonov) d’une culture enracinée. De Rubinstein à Nikolaïeva, de Haskil à Matsuev, de Horowitz à Berezovsky, Kissin et Avdeeva, le piano russe fait figure d’orthodoxie. Andreï Korobeïnikov et Yury Favorin sont de ceux-là. Les fauves du piano. Les poètes de la chair musicale. Au premier, on pourra coller l’image d’un maître du théâtre, chantre du contraste et du clair-obscur (écouter sa version toute faustienne de la Sonate en si mineur de Liszt sur Youtube !). Korobeinikov avait le choix de la carrière : un diplôme d’avocat à dix-sept ans, celui de « meilleur musicien de la décennie » au Conservatoire de Moscou deux ans plus tard. Bardé de distinctions dans de nombreux concours internationaux, c’est avec une immédiate sensualité que Korobeinikov aborde le clavier. On le voit y compris sur son visage, si expressif et tourmenté, « vivre » chacun des instants de la musique qui coule sous ses doigts.
Quant à Yury Favorin, l’autre représentant de l’école russe du piano invité cette saison à Radio France, on pourrait lui associer les termes « hardiesse », « audace », ou tout autre mot fleurant bon l’aventure et les chemins sinueux. Favorin ne recule devant rien : jouer le tellurique Orion 3 de Boucourechliev lors du Concours Van Cliburn 2017, démontrer sa fougue dans les œuvres rares de Charles-Valentin Alkan qu’il adore (à l’image de son aîné Marc-André Hamelin), ou bien, comme le 7 avril prochain à l’Auditorium de la Maison ronde, dans l’intégralité des Années de pèlerinage. Quoi de mieux que ce voyage initiatique de près de trois heures, en forme d’épopée méditative aux confins de l’amour et de la mort, pour faire ressortir le jeu d’un pianiste qui n’a pour seul limite que son goût immodéré de la musique elle-même ?