Vienne à bonne école

« La première École de Vienne » : une expression qui évoque tout de suite une mélodie galante donnée aux premiers violons, un accompagnement joyeux en forme de chapelet de croches répétées et sympathiques, et un matériau arbitré par de sévères ponctuations à l’unisson par les trompettes et les timbales. Pourtant, Vienne semble être davantage le berceau d’une mentalité que celui, au sens propre, des compositeurs qui ont fait son renom mondial : Haydn, Mozart, puis Beethoven et Schubert, comme le montreront cette saison plusieurs concerts de l’Orchestre National de France.
Il y a quelque chose de particulier dans l’aura culturelle de Vienne, un je-ne-sais-quoi qui tient de l’ouverture d’esprit. Il semble y avoir dans le système viennois un besoin d’innovation, ce fameux facteur décisif qui inscrit ou non le musicien dans le panthéon des compositeurs connus du public : Monteverdi grâce à l’opéra, Vivaldi au concerto, Bach au fugato, Schoenberg à la technique atonale, etc. Il faut signaler en outre l’importance de la musique jouée en école paroissiale dans les débuts de l’Autriche moderne, qui explique comment la monarchie des Habsbourg a pu créer une culture musicale vibrante au XVIIIe siècle. Ainsi, la rencontre entre le besoin qu’avaient Haydn, Mozart, Beethoven de faire bouger les lignes, l’influence envahissante de la piété baroque post-Tridentine, et le besoin qu’avait la ville de Vienne de voir des choses neuves sur scène, ont créé une magnifique coïncidence qui façonna une grande partie de l’histoire de la musique.
Un flux constant de cantates de chambre italiennes composées par Antonio Caldara, Francesco Conti et Giuseppe Porsile (l’école « zéro », avant la première ?), a été source principale de divertissement à la cour viennoise de l’empereur Charles VI (1712-1740). Après un demi-siècle passé à ignorer ce genre essentiel (une ou plusieurs voix, accompagnées par une basse continue et quelques instruments obligés) sous les Habsbourg, la cantate italienne connaît une floraison au début du XVIIIe siècle. Cette production de cantates a connu une brève période d’interruption, de 1713 à 1716, avant de reprendre vie grâce à la mise en place de la Hof-Musikkapelle de Charles VI, qui plaça à sa tête Johann Joseph Fux avec Caldara en assistant, lequel fit venir d’autres talents italiens.
Cette présence italienne était tangible à tous les degrés. Léopold Ier (1658-1705) était si fier des opéras produits par sa cour qu’il en faisait envoyer les livrets à ses ambassadeurs dans les pays étrangers. Charles VI dirigeait lui-même les opéras mis en scène à sa cour. Au même moment, l’Église effectuait le même travail d’éducation de l’oreille à la musique italienne, dont l’influence était encore présente dans la musique religieuse de Mozart, Haydn et Beethoven. Il faut cependant se rendre compte qu’il n’y a qu’à Vienne que la superstructure italienne reposait sur l’acceptation populaire du style. Ainsi, lorsqu’est venu le temps pour les artistes italiens de battre en retraite par-delà les Alpes, le seul terrain resté conquis était Vienne, parce qu’à cet endroit précisément la musique d’art et la musique populaire se sont rencontrées : un style nouveau était créé, qui ne pouvait pas être annulé par le départ des Italiens.
Rendez-vous notamment les 5 et 6 avril, en compagnie de Rudolf Buchbinder et Cristian Măcelaru, et le 15 juin avec Maria-João Pires et Trevor Pinnock. Deux concerts qui permettront de goûter ce nouveau style dont la fécondité fut si grande.
Christophe Dilys